7 Juin 2017
Jean-Luc SAUGE est éducateur sportif et enseignant d’Arts martiaux, diplômé d’Etat en Karaté depuis 20 ans. Il pratique les arts martiaux depuis 40 ans. Formateur à la régulation non violente des conflits avec l’Association pour une Fondation de Corse, il est également Coach certifié en Gestion du stress et des émotions.
Jean Luc Sauge est également le fondateur de l’Art non-martial I PACERI : Les Chercheurs de Paix
Il a accepté de nous parler de son art, de paix et de Bonheur...
Bonjour Jean Luc, pouvez-vous nous parler de vous et de votre parcours ?
Bonjour Claire je tiens tout d’abord à vous remercier pour l’intérêt que vous portez à mon art.
Votre demande me touche.
J’ai 55 ans et je passe une belle partie de ma vie à travailler sur mon enseignement de chercheur de paix. J’ai débuté les arts martiaux il y a 40 ans, en pensant y trouver sans doute une manière de me rassurer en devenant fort, en étant reconnu pour une compétence validée par des grades, en répondant à un besoin de « sagesse » et de chevalerie .
Pendant 20 ans j’ai cheminé dans cette direction espérant y trouver des outils de paix. 20 ans de questionnements où le paradoxe qui consistait à poser des actes violents pour combattre la violence me taraudait.
Un début de réponse et un grand virage s’est amorcé en 2000 quand Jean Marc Ortega (www.taovie.com), mon professeur et ami avec lequel je travaillais sporadiquement, nous a invité à changer complètement notre manière de travailler. Il n’était plus temps de traiter la violence mais celui de cultiver les conditions de la paix.
Ce fut un basculement complet de paradigme, les formes de corps changèrent, les mots changèrent, et toute la philosophie de la pratique fut remise en question.
Aujourd’hui, fort de ce changement, les objectifs et moyens de mon enseignement sont devenus une évidence : les arts corporels sont des vecteurs de choix pour travailler en profondeur notre rapport apaisé à soi, à l’autre et au monde. Pas de paix solide sans ancrage dans le corps. Et surtout pas de paix possible si je garde de la violence en moi. La pratique que je propose est la mise en œuvre pédagogique de ce constat.
Pouvez-vous nous parler un peu plus de « I Paceri » ?
Au fil de mes recherches , j’ai enrichi mon parcours martial de différentes formation afin de mieux comprendre les leviers d’action pour la paix. J’ai suivi tout d’abord une formation en gestion du stress et des émotions.
Puis il y a quelques années l’association pour une fondation de Corse a lancé un programme de formation de formateurs en régulation non violente des conflits. J’en fus un des bénéficiaires et au terme de celle-ci je mélangeais les outils appris et mon parcours martial pour une proposition singulière. Je l'ai nommé I Paceri.
I Paceri (les faiseurs de Paix) ont été, au cours de l’histoire violente de la Corse rythmée par les vengeances (vendetta) , les médiateurs pacificateurs en charge d’atténuer les tensions. La présence de faiseurs de paix sur une terre de violence donnait à ma pratique un symbolisme que je revendique. J’ai adapté la traduction en « chercheurs de Paix » afin d’imager une dynamique de recherche et de coopération qui m’est chère.
Comment un art martial peut-il conduire à plus de paix ?
Un art se dessine sur une vision du monde. La notre est qu’il existe en nous et dans le monde une force, une énergie qui agit comme un principe organisateur de la vie. Ce principe tend à créer l’harmonie en régulant les « conflits » qui ne manquent pas d’émerger. Cette force est bienveillante, elle assure naturellement le bon fonctionnement des événements. Il n’est qu’à observer la nature pour en toucher l’essence.
Sous ce prisme, on réalise que tout conflit est une rupture, un accroc dans l’équilibre de cette toile de fond. Afin de respecter ce principe de la vie, la force mise en œuvre pour le résoudre doit elle aussi être bienveillante, sinon le déséquilibre sera accentué et l’accroc non réparé.
Cette rupture contient en elle-même de puissantes énergies qui vont permettre le retour à l’équilibre. La manière de mettre en œuvre ces énergies va être prépondérante dans la qualité de l’équilibre retrouvé.
Je vais illustrer ce concept par un exemple : Un collègue m’agresse en me reprochant mon travail et en m’insultant (accroc) . Ceci génère en moi une forte émotion qui est l’énergie qui va me pousser à agir (elle peut aussi m’inhiber). Si je l’insulte à mon tour, nous rentrons dans des spirales de violence ou l’un de nous va devoir céder (amplification du déséquilibre). Mais si j’ai appris à ne pas me laisser emporter par cette spirale, je fais un retour sur mon ancrage intérieur de paix et je me sers de cette énergie pour accueillir la doléance, pour éclaircir le problème et le besoin exprimé par mon collègue. Je reste en pleine vigilance du danger mais je mets en route une force de transformation du conflit afin de rétablir l’harmonie. (Retour harmonieux à un nouvel équilibre)
Notre enseignement consiste donc à contacter et cultiver la paix en soi afin de l’identifier et d’en faire un puissant ancrage de ressources ; puis en la mettant à l’épreuve face à des agressions de plus en plus sincères. Dans le même temps nous apprenons comment accueillir et transformer l’agression en déviant plutôt qu’en bloquant, en enrobant plutôt qu’en contraignant, en accompagnant plutôt qu’en projetant etc.
C’est ainsi un véritable changement de paradigme que nous proposons, car il ne s’agit plus de combattre la violence, mais d’activer les conditions de la paix suivant les principes qui prévalent à toute chose, que nous avons évoqué plus haut : l’harmonie et l’amour
Conceptualisé ainsi cela peut paraitre théorique, mais l’enseignement est simple, progressif, joyeux et tonique.
La « mise en corps » du conflit permet de sortir de l’approche mentale de la violence qui tente de comprendre ou d’expliquer. Elle permet de ressentir les puissants freins tels que la peur d’avoir mal, la peur de faire mal, la peur de mal faire etc qui brident notre liberté d’action. Elle pose une matérialité en nous mettant face à la réalité de ce qui se passe. Tout cela je le précise, dans le respect total de l’intégrité et des limite de chacune et chacun.
Quel lien faites-vous entre paix et Bonheur ?
Travailler sur la paix c’est apprendre à reconnaitre, conscientiser et apaiser les violences, quelles soient intérieures ou extérieures. La prise de conscience peut être très rapide, mais le travail à faire sur soi demande persévérance et attention. Il s’agit déjà d’une véritable écologie de pensées et de comportements. Il faut se séparer de ce qui est inutile : les jugements, les comparaisons, les suppositions, les projections, la honte, la culpabilité toutes ces sources de violences dont nous sommes souvent nous même les premières victimes et les premier bourreaux.
Travailler sur la paix c’est ainsi (re)contacter cette profonde bienveillance qui nous anime et que nous avons perdu de vue masquée par toutes les peurs et « pollutions » évoquées ci-dessus.
La bienveillance est notre attitude naturelle dans toute relation saine et authentique avec les autres mais déjà avec soi même.
Cette bienveillance et un rapport pacifié et affirmé aux autres sont les conditions d’un rapport confortable à la vie car ils m’assurent que mes besoins et ceux de l’autre sont pris en compte et respectés . Un puissant générateur de bien-être et de bonheur.
Peut-on, selon vous, être heureux sans « ressentir et pacifier ce qui se passe en Soi » ?
Si je veux rester cohérent avec tout ce que j’ai dit précédemment et « vendre » ma voie je devrais répondre : « non » bien sûr.
Mais je crois profondément qu’il y a autant de chemin vers le bonheur qu’il y a d’individus et de définition du bonheur.
Reste néanmoins pour moi une condition qui me semble universelle et indispensable : je ne peux dessiner les contours du bonheur que si je réalise que je le traverse et qu’il est présent dans ma vie à un instant T. Sans cette reconnaissance je peux baigner dedans sans même le réaliser. Je crois qu’il est important de cultiver cette capacité de reconnaissance car ainsi chaque miette de bonheur pourra être chérie et honorée pour sa juste valeur. C’est sans doute cette capacité, développée à l’extrême, qui a permis a des personnes témoignant de l’horreur des camps de concentration d’évoquer des moments de bonheur captés grâce à un morceau de chocolat ou un rayon de soleil . Puissions-nous tous devenir de sensibles capteurs de bonheur de cette profondeur.
Vous évoquez sur votre page la nécessité « d’éprouver et de retrouver sa part de responsabilité, sa place juste et sa possibilité d’action dans son rapport à l’autre et au monde ». Pensez-vous chacun est responsable de son bonheur ?
Il y a quelques étés je suis allé méditer au lever du soleil face à la mer. Entre l’astre et moi , la mer miroitait de mille feux. Je pouvais voir chaque teintes de ce reflet, je pouvais le photographier. Si j’avais eu les outils, j’aurais pu en mesurer l’angle, j’aurais pu guider des bateaux pour qu’ils en tracent les contours par leurs sillages. Or à ce moment j'ai réalisé une chose: les pilotes de ces bateaux n’auraient jamais pu voir ce reflet, car il n’existait que parce que je le regardais. Chacun sur cette côte ou en mer avait son reflet à regarder, sans jamais pouvoir voir celui du voisin. Si je fermais les yeux, ce reflet sur la mer, celui qui était dessiné par le rapport entre la lumière du soleil l’eau et mes yeux ... et bien cela n’existait plus pour personne.
Je crois qu’il en est il ainsi de mon bonheur, il n’existe que dans le rapport que j’entretiens avec les choses, il m’est personnel et singulier, personne d’autre ne peux y avoir accès et il ne dépend que de ma capacité à vouloir le regarder. Il n’existe que dans mon regard.
Si je ne suis pas responsable de chaque chose de ma vie, je suis responsable du regard que je pose dessus.
« Savoir lâcher le connu pour découvrir le nouveau » est un autre de vos préceptes que je retiens. Pouvez-vous développer cette idée ?
Votre question m’évoque cette citation d’ Anaïs Nin : « Vint un temps où le risque de rester à l'étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d'éclore. »
Notre esprit à besoin de stabiliser le monde dans lequel il évolue. Il a besoin de lui donner une lisibilité en le simplifiant ; notre mental ne sais pas bien gérer la complexité. Alors que la vie est processus, notre esprit la capte comme une succession d’états qu’il ne cesse de comparer aux précédents regrettés, aux suivants imaginés, aux idéaux espérés. Ces comparaisons nous font violence. Nous rêvons de vérité immuables et de bonheurs durables mais ainsi ne va pas la vie
« Il n’y a que le changement qui soit permanent » disait Lao Tseu.
Puisque ce qui me semble fixe est un leurre, je dois bouger avec la vie. Nos pratiques corporelles mettent en action ce principe.
Lâcher le connu c’est laisser la possibilité à ce qui n’est plus de se transformer. Les moments de bonheur n’échappent bien sûr pas à cela.
Ils existent en chacun pour toujours dans le souvenir, alimentant un jardin fleuri dans nos âmes, mais dès que le regret de ce qui a été apparaît, cela crée un point dur dans nos cœurs fermant la porte à de nouveaux bonheurs. C’est la puissance de l’instant présent évoquée sur votre blog par Jean Marc Terrel.
Le nouveau n’est pas un choix, c’est le processus même de la vie. J’ai le choix de tenter de résister ou de danser avec la vie. Le principe de la force d’harmonie nous invite ainsi à la danse.
Si vous deviez résumer en quelques mots les ingrédients du bonheur ?
Je dirais la conscientisation de ce qui est ; la pacification de notre rapport au monde, l'Amour que l’on accorde aux autres et à soi même, l’ouverture sur le monde sans jugement, la capacité à transformer ce qui n'a plus de raison d'être, sont selon moi des ingrédients majeurs nécessaires au bonheur.
Auriez-vous des coups de cœur à partager ?
Mes quêtes de bonheur me guident souvent vers quelques lignes de Christian Bobin, de Montaigne, de Jiddu Krishnamurti qui savent planter en moi des graines de pensées dont la germination me rend heureux.
En musique des chanteuses comme Agnes Obel, Camille, ou le groupe Lunatik savent m’enrober d’une douceur qui me fait du bien.
Des groupes tels que : Archive, Le trio Joubran ou King Crimson ils attisent en moi par leur mélange entre tempérance et explosion une énergie corporelle qui m’anime entre danse sensible et danse « guerrière ».
Quand au lieu ….
« Il existe au creux de chacun
Un endroit /moment nommé :
« La Source Racine ».
De cet endroit naît le mouvement,
Qui se déroule et grandit depuis
Notre Être profond.
Notre Soi.
Né de la "Source Racine"
Le mouvement est mien.
Il est pur.
Il est vie.
Il est force de transformation.
Une expression unique.
Lui donner forme
C’est participer
A la sculpture du monde.
Jean Luc SAUGE
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